Les lagunes ont un rôle important au
Bénin. Voici un texte extrait d'Océanique, la revue de la coopération
française au Bénin. J'y ajoute quelques photos personnelles faites soit de
bateau, soit d'avion au
cours d'un vol effectué au-dessus de la plus connue: Ganvié, cité lacustre.
Les conditions tumultueuses de l'Histoire ont conduit le réfugié Adja ,
autrefois cultivateur et chasseur, à s'adapter à l'eau, à se convertir à
l'activité de pêche et à bâtir une véritable civilisation dite des "hommes de
l'eau". La recherche de la sécurité les a poussés à installer leurs cases sur
pilotis pour former des cités lacustres. Tout se fait sur l'eau depuis les
activités de pêche et de transformation du poisson jusqu'aux marchés, sans
oublier les réjouissances publiques et les cérémonies funèbres. Seules les
inhumations des morts se font sur des terres acquises auprès des peuples
voisins, les Fon et les Ouéménou, avec lesquels ils vivent en
complémentarité, échangeant des produits agricoles contre poissons et crustacés.


"Dieu nous a donné une bouche pour nous nourrir et la lagune
pour la remplir, et maintenant la lagune ne la remplit plus". Ainsi s'exprime
une femme de la lagune béninoise qui s'étend derrière le cordon dunaire de
l'ouest de Cotonou à la frontière togolaise. Il fût un temps où, semble-t-il, la
vie sur la lagune avait des couleurs plus heureuses aux yeux des femmes. Il y
avait toujours du poisson à fumer et du sel à préparer; à quoi
pouvaient s'ajouter les à-côtés de petites productions artisanales, un peu
d'huile de coco ou d'huile rouge, un peu de jardin aussi, du moins là où on peut
en faire, et puis les huîtres, et encore la vannerie.... Sur les marchés, les
produits se vendaient bien et le maïs ne se coûtait pas si cher. "Nos mères se
débrouillaient mieux"
.
Et maintenant? On vit toujours de même, et pourtant plus rien
n'est pareil. D'abord, "il y a trop de bouches à nourrir", trop de monde à vivre
sur la lagune et de la lagune, trop de monde à entretenir dans la maison avec
les "junes" qui ne trouvent plus à s'employer ailleurs, trop de besoins à
satisfaire. Et "le poisson manque" : ce qu'on ramène dans les éperviers, les
filets, ce qu'on trouve dans les nasses des barrages sur les chenaux ou dans les
bas-fonds, "c'est petit", petit par le nombre et petit par la taille.
Le sel aussi "ce n'est plus comme avant". Déjà, il y avait
"le tracas du bois" pour cuire les saumures préparées avec les terres salées
récoltées sur les marais : il fallait courir la brousse pour en trouver, ou
trouver l'argent pour en acheter, vu que les forêts de palétuviers, réduites à
l'état de bosquets, n'en fournissent plus depuis longtemps. Puis "une solution
est venue" pour ne plus avoir à cuire, en mettant les saumures à sécher au
soleil et au vent des bassins, et l'espoir est revenu. Mais alors c'est de la
lagune que sont venues les difficultés : tantôt ce sont les aires de grattage
qui ne s'assèchent plus ou mal, ou trop tardivement après la saison des pluies;
tantôt c'est à chaque marée qu'elles sont inondées pour plusieurs jours à la
saison sèche; plus grave encore, là c'est le sel qui a fui à cause de l'eau
douce du barrage qui remonte par les chenaux et sur les terres dessalées des
marais pousse désormais le jonc... sans parler des pluies qui ne connaissent
plus leur temps, ne partent plus à leur heure, reviennent trop tôt, ou mouillent
la saison sèche à contretemps. "On ne comprend plus ce qui se passe avec la
lagune, plus rien n'est comme avant".

Dans les villages de la lagune, cela fait
longtemps que la déstabilisation des modes de vie, construits autour de la pêche
et du sel, a déporté sur les femmes le soin d'assurer par toutes sortes de
travaux l'essentiel des revenus nécessaires à la subsistance et à l'entretien de
la famille. La liste est longue lorsqu'on la répertorie, elle épuise tous les
champs d'activités, des productions agri-aquacoles aux négoces en passant par
toutes sortes d'artisanats maison ou de cueillettes. "Tout ce qui est possible
de faire on le fait".
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Bien sûr, certaines sont plus entreprenantes que
d'autres ou mieux loties. d'un ensemble communal à un autre, les
situations diffèrent sur les ressources, la facilité d'échanges et les
débouchés. Surtout, "ce n'est pas le courage qui manque, ni la volonté,
c'est l'argent". lui, "il n'est jamais devant mais on lui court toujours
après". alors, pour faire face aux besoins de sa maisonnée, chacune
s'efforce de composer une palette d'occupations formant autant de
recours possibles ou d'occasions potentielles de revenus. Le choix va
dépendre de l'argent qu'elles vont pouvoir investir. Mais, il faut
également savoir modifier ses pratiques en fonction d'une opportunité ou
des circonstances de la saison ou de l'année. A l'échelle d'un village,
d'un secteur, d'une commune, les exploitantes disposent ainsi d'un
ensemble de références et de repères qui trace l'espace des
possibilités et les oriente dans leur appréciation. Elles vont ainsi
choisir ce qui est à faire "présentement" et comment le faire : "un peu,
assez, beaucoup, ou pas du tout"... Tout dépend de l'état momentané des
contraintes et des opportunités qui pour chacune ouvre ou ferme plus ou
moins le champ des possibles immédiats. quand on est femme sur la
lagune, être "multi-active" n'est pas seulement une nécessité. C'est
aussi pouvoir se réserver à tout moment la liberté de réorganiser ses
choix productifs au plus près de la situation du moment. C'est, comme
elles le disent, "avoir la chance" non seulement de s'ajuster aux
exigences ou aux urgences d'une maisonnée, mais aussi saisir l'occasion
d'une conjoncture momentanément plus favorable pour améliorer un niveau
de revenus, et se donner ainsi "un petit pouvoir sur la vie".

Geneviève Delbos (chercheur CNRS)
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