Une
petite citation d'André Gide, fournie par Titi: "Moins le Blanc est
intelligent, plus le Noir lui paraît bête." (Extrait de Voyage au
Congo) |
L'esclavage,
un tabou français...
Par Louis Sala-Molins*
Il est des mots dont la charge
historique est insupportable. Dont la réalité qu'ils évoquent affole sens et
conscience. " Esclave" en est un. Dire "esclave", c'est
rejeter quelqu'un - personne, famille, groupe, communauté, peuple, continent -
de la sphère de l'humanité et l'enfermer dans celle des brutes et des
marchandises, des biens dont on se sert à n'importe quelle fin, par n'importe
quel moyen, sans que le droit s'en offusque ou que l'on ait à rendre compte à
quelque instance morale que ce soit.
Septembre 2001 : la conférence
mondiale de Durban rappelait que les pratiques esclavagistes s'étalent sur
toute la durée de l'Histoire et toute l'étendue des continents, et conjurait -
en vain - les nations de se pencher sur les conséquences des formes
"modernes" de la traite et de l'esclavage (...)
une formidable tragédie mettant aux prises l'arrogance
invulnérable des puissants et la nudité désarmée des misérables, non dans le
fracas des champs de bataille, mais dans la criaillerie des marchés

A
l'orée de notre civilisation, la Grèce et Rome. Sous leurs grandeurs, la
banalité du statut d'esclave, soumis au caprice du maître que ni les dieux ni
les philosophes n'interpellent, tant il est naturel, alors, que l'organisation
de la société destine les uns à la maîtrise et les autres à
l'esclavage.
Le Moyen Age. Sous les signes de
la croix, du candélabre et du croissant, les itinéraires tricontinentaux des
traites d'esclaves lézardent en profondeur des territoires que les historiens
décrivent généralement comme autant de théâtres d'incessants affrontements
guerriers , jamais comme des aires de survivance d'un esclavage endémique, qui
a donné à la chose son nom ("esclave" vient de "slave" et
d'"esclavon", mots par lesquels on désigne les Slaves
"traités" par les juifs aux confins
nord-orientaux
de l'Europe, achetés par les chrétiens et les musulmans.
Apparaissent, au couchant, les
indes occidentales. L'exploitation "artisanale" de la main-d'oeuvre
esclave prend le gigantisme que l'on sait : c'est le "commerce
triangulaire" de signe chrétien qui saignera le continent africain des
siècles durant (sans neutraliser pour autant la mainmise esclavagiste de signe
islamique sur ce même continent). La France en est, avec le panache qui lui va
si bien. Des villes de la côte Atlantique s'enrichissent de l'infâme commerce.
Et c'est au prix de l'exploitation à mort des esclaves - mise en code par le
Roi-Soleil - dans les plantations et les sucreries, là-bas aux îles, qu'elle
monopolise le commerce du sucre. Jusqu'au jour où Toussaint-Louverture mène au
combat les esclaves révoltés de Saint-Domingue.
Les temps mûrissent. L'infâme
commerce triangulaire cesse. Sans se presser, les nations de chrétienté
abolissent l'esclavage au long du XIXe siècle.
L'heure
est au bilan. Aux réparations dues par les puissances ci-devant négrières,
dont la France, et à la récupération par la mémoire de ce désastre
colossal, de ce crime contre l'humanité, de ce génocide utilitariste qu'il est
si seyant, commode et gratifiant de maintenir dans l'oubli.
*professeur émérite de
philosophie politique à Paris I et à Toulouse II. Il est l'auteur du Code
noir ou le calvaire de Canaan, récemment réédité par PUF.
Un texte
fort, n'est-ce pas. Et vous, qu'en pensez-vous? |
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